LE DILEMME DE LA RESISTANCE LAOTIENNE

 

Qui dit résistance dit action clandestine, individuelle ou collective contre l'occupation du patrimoine national par des troupes étrangères et contre un pouvoir collaborationniste au service de l'Etranger. Il n'est pas nécessaire que ce pouvoir soit une dictature .

Aussi parle t-on de la résistance française des années 40, de la résistance afghane des années 70 et 80, de la résistance cambodgienne des années 80, de la résistance laotienne depuis 1975; ces pays étant occupés respectivement par l'Allemagne nazie (France), par l'Union soviétique

(Afghanistan), par le Vietnam (Laos et Cambodge) .

En revanche on ne parle de résistance, ni au Cuba, ni en Iran, ni au Myanmar, ni au Vietnam etc... malgré l'existence d'un pouvoir dictatorial dans ces pays, mais seulement d'opposition et de dissidence .

 

Le Laos réunit à lui seul trois conditions suffisantes pour que la résistance ait toutes les raisons d'être, à savoir :

- le pays est occupé par une armée étrangère

- le pouvoir politique en place est un pur produit du

parti communiste vietnamien

- c'est de plus une dictature aux méthodes hitléro-staliniennes

Mais les laotiens qui veulent le changement dans leur pays et qui se disent patriotes et résistants ne conçoivent pas leurs luttes de la même manière. Les uns pensent que l'on peut faire la résistance dans la collaboration avec l'ennemi. Les autres rejettent cette collaboration. Voilà le dilemme !

 

1 - Ceux qui sont pour la collaboration (et ils sont nombreux, très nombreux !) pensent que la lutte devient inutile et qu'il convient, dans l'intérêt du pays, d'accepter le diktat du pouvoir en place. Les crimes abominables commis par le gouvernement communiste contre le peuple n'intéressent que l'histoire. La collaboration est d'or, ajoute t-on. Si l’on sait s’y prendre les communistes nous rendront nos maisons et nos terres. Le loup rassasié deviendra l'ami de l’agneau parce que tous les deux boivent dans le même ruisseau, croit-on encore. Je n'ai pas besoin de citer les individus, les associations, les organisations humanitaires et les groupements politiques qui baissent les bras pour des raisons de gros sous. Chacun s'y retrouvera. On a vendu son pays. On est entrain de vendre son âme !

2 - Ceux qui rejettent toute forme de collaboration avec Vientiane sont ceux qui refusent le communisme et la viêtnamisation du Laos. Ils continuent le combat contre le pouvoir usurpateur en place qui n'a aucune assise populaire et qui ne survit que grâce au couteau des bodoïs pointé sur la gorge du peuple laotien. Pour eux, le coup d'Etat communiste du 2 décembre 1975 a tué le Laos en tant qu'Etat indépendant et souverain et, le peuple laotien en tant que nation libre. J'appartiens modestement à cette petite catégorie de laotiens qui ne démissionnent pas devant l’ennemi .

Nul ne peut prévoir l’avenir [ Après tout le général de Gaulle lui-même n’aurait-il pas avec lui que 5% des français au moment de son appel du 18 juin 1940 ! ]. En attendant, ce dilemme, nourri et entretenu par le Parti Révolutionnaire Populaire Lao et ses ramifications à l'Etranger, affaiblit la résistance nationale qui doit désormais se battre sur deux fronts : le front ennemi sur la rive gauche du Mékong et le front ami à l'intérieur même de la communauté des réfugiés. Le gouvernement communiste, par ses opérations de charme, a encore gagné une bataille sans effort aucun parce que les laotiens ont la mémoire courte. Beaucoup ont oublié pourquoi ils étaient parti en 1975 .

Je voudrais rappeler à mes compatriotes laotiens d'Australie, de France, de Thaïlande et d'Amérique que nous sommes les rescapés du fléau communiste dans notre pays, que si le temps efface la haine (et c'est tant mieux !), il ne doit pas effacer la mémoire. Ce n'est pas pour rien si l'on continue à traquer les criminels de guerre nazis, non pas pour les punir (ils sont trop vieux !) mais dans le but de montrer à l'humanité le visage répugnant des fous de ce siècle. Un jour viendra où l’humanité traduira en justice les crimes de Lénine et de Staline. Plus près de nous deux tristes personnages, Pol-Pot et Kaysone, ont la main tachée de sang du peuple. Leurs noms figurent depuis longtemps sur la liste des accusés à la Cour Pénale Internationale de Justice. Même à titre posthume, l'un et l'autre seront jugés pour crimes de guerre et pour crimes contre l’humanité .

A ce dilemme de la résistance laotienne, on pourrait ajouter le laxisme de la classe des  intellectuels et des hommes d’affaires laotiens qui forment un monde à part, un monde qui ne se soucie guère du devenir du pays. Comme toujours, on se situe ailleurs, dans une fête somptueuse, dans un mariage fastueux de mille à deux mille couverts ou dans un club privé de plaisir, mais jamais dans une réunion où il est question de nation, de patrie, de liberté ou de Droits de l’Homme, parce que l'on possède le passeport du savoir qui, pense t-on, ouvre toutes les portes. Cela porte un nom dont le chanteur Jacques Dutronc a fait un grand tube . "  J'ai retourné ma veste. Je retourne ma chemise. La prochaine fois je retournerai mon pantalon ". Volontairement ou inconsciemment, l'intelligentsia laotienne perd le nord . Il fut un temps où les borgnes étaient rois. Aujourd'hui le peuple laotien a les yeux grands ouverts. Méfions-nous ! Si nous voulons le changement, si nous souhaitons la victoire du droit sur la force, de la raison sur la violence, de la démocratie sur la dictature, agissons ensemble. Soyons les acteurs du changement et non pas les spectateurs ou les figurants. Car il en va de l'avenir de notre pays, de nos enfants. Nul laotien libre n'a le droit de fuir ses responsabilités. C'est très bien de serrer la main à l'ennemi. C'est mieux de lui dire qu'il a les mains sales.

Il n'y a pas longtemps j'ai eu l'occasion d'assister à une mini conférence de presse d'une marionnette du régime de Vientiane de rang Vice-Ministre qui, parlant au nom du peuple lao, disait ceci :

"  Nous avons consulté notre peuple. Les laotiens préfèrent la dictature à la démocratie et, le parti unique au pluripartisme, parce que la dictature garantit mieux la stabilité politique et, par conséquent, attire davantage d’investissements étrangers .... ! "

Qui peut encore croire à une telle absurdité ? C'est de l'économie politique à l'âge de la pierre taillée. Et pourtant bon nombre d'intellectuels et hommes d'affaires laotiens, anciens et nouveaux, ont mordu à l'hameçon et se laissent prendre dans la toile d'araignée. Les milliers de cadavres de femmes, d'enfants et de nourrissons noyés dans le Mékong après avoir été violentés et pillés de tous leurs biens, les pluies de gaz et neurotoxiques dans nos montagnes en période de paix, les camps de famine et de travaux forcés, les chambres de tortures physiques et morales, l'épuration ethnique, la dictature à vie sans l'ombre d'une possible alternance, tout cela ne les regarde pas. L'argent n'a pas d'odeur ! Dans l'histoire de notre temps, il est rarissime de voir l'exode de la race humaine du monde libre vers le communisme, de la liberté vers l'oppression. Les laotiens feront-ils exception à la règle ?

 

Touxoua LYFOUNG

Mars 1994